Un peintre

 

Un peintre

Glycéro sur toile, 61 x 38 cm

Comment m’y suis- je pris ?

L’activité artistique peut réserver bien des surprises. Je suis un peintre du dimanche et j’étais à l’ouvrage. C’était il y a fort longtemps et avec ma façon d’éviter la promenade dominicale, j’allais être confronté à l’expérience de la stupéfaction.

Je peignais une étude à l’huile sur une toile de petit format. C’était un portrait imaginaire à peine ébauché d’un peintre anonyme. Je souhaitais réaliser une sorte d’allégorie du peintre éternel, très humanisé, avec un visage un peu flou caché dans la pénombre et exécuté « façon siècle d’or néerlandais ». J’allais écraser le mégot qui brûlait mon doigt lorsque le portrait que j’étais en train de créer se mit à tousser. J’étais vraiment surpris, il se raclait la gorge et puis il s’est mis à cracher. Il sortait de la mort noire des ténèbres parce que tant de siècles étaient passés et je dois dire que son haleine était un peu pourrie. Un peu plus tard dans sa bouche s’étaient formés des mots bizarres, interrompus  par des silences d’outre-tombe. Malgré sa voix secouée de quintes de toux, il devenait peu à peu intelligible et je devinais qu’il parlait en ancien néerlandais. J’essayais de lui répondre avec mon dialecte local que je pratique et qui semblait apparenté. Nous étions presque capables de nous comprendre. Il me reprochait le choix des produits employés pour réaliser son portrait et il continuait de tousser. Je tentais de lui expliquer que j’étais un peintre bricoleur et que j’achetais mes pots de peinture dans des enseignes de grande distribution. Il faut toujours peindre gras sur maigre et sur la toile j’avais appliqué une première couche de peinture glycérophtalique qui avait été largement diluée au White-spirit et ces distillats de pétrole avaient certainement irrité ses voies respiratoires. Il toussotait encore puis il me demanda de lui laisser un peu d’air et je m’empressais d’ouvrir la fenêtre en grand. Les branches du cerisier d’un jardin mitoyen étaient agitées par un vent puissant qui s’engouffrait dans la pièce. Je retournais vers le portrait et je l’entendis rire de façon moqueuse et déplacée puis il pris un ton confidentiel pour pour me dire qu’il aimait mes « fesses d’ange » et que le « diable pouvait guider son gros pinceau » . Je compris que j’avais affaire à Johannes Van Der Beeck, un peintre flamand du XVIIème siècle, qui avait peint sous le nom de Torrentius. Il fut un peintre extraordinaire et un artiste hors norme pratiquant l’alchimie mais c’était aussi un artiste aux mœurs dissolues qui avait été jeté en prison. Toutes ses œuvres furent brûlées en place publique sauf une « nature morte » qui avait survécue à la destruction et qui est conservée au Rijksmuseum à Amsterdam.

J’étais un peintre débutant et je ne voulais pas d’histoires avec ce blasphémateur débauché. Je confinais la toile sous plusieurs couches incolores d’un vitrificateur à parquet accompagné d’un durcisseur. Ce vernis polyuréthane à base d’huile avait isolé définitivement le libertin fornicateur.