Michel et Christine

 

                                                             Michel et Christine, un vilain vaudeville.

                                                              Acrylique et pastel sur papier, 50 x 40 cm

Parfois nos pauvres vies nous engagent avec notre baluchon dans des voies misérables mais nous méritons ce que nous devons porter. Je vous invite à lire une vieille histoire. Une histoire honteuse.

La voiture était bourrée d’un tas de bazar. Il y avait dedans tout ce qui m’appartenait et puis des trucs que j’avais acheté chez des grossistes. Une variété de produits que je souhaitais vendre sur les plages à des petits prix. J’étais descendu sur la côte avec l’idée de me faire un peu d’argent pendant l’été. Je me faufilais entre les créatures et les parasols en traînant un sac à paquetage rempli d’anneaux à lancer, de lunettes de soleil multicolores et de perles en plastique pour composer  de jolis colliers. Il y avait aussi des porte-clés, des jeux miniatures style Labyrinthe avec des billes minuscules et puis il y avait le jeu du « tac-tac». C’était un jeu qui ressemblait à deux cerises reliées par leur queue, on amenait les deux boules à claquer entre -elles et à rebondir l’une contre l’autre en évitant qu’elles se fracassent sur les poignets. On m’avait fait cadeau d’un gros stock de «tac-tac». Le jeu était déjà passé de mode et il ne se vendait plus mais grâce au fracas des deux boules que j’agitais, on m’entendait de loin.

C’est une vieille histoire que je vous raconte. Je me souviens, c’était l’année de la mort de Visconti. Chez le réalisateur italien, l’aristocratie était d’une extrême séduction mais chez moi, le petit commerce inquiet relevait de la médiocrité durable. C’est l’histoire d’une grosse chaleur, c’est l’histoire d’un individu, « tout juste un individu », qui suit ses propres traces de pas dans le sable, à l’infini, entre les parasols et les sphinx des plages recouverts d’huiles protectrices. Je vendais « à la sauvette » et mon affaire était pourrie. J’avais faim et je dormais dans la voiture. C’était une vieille Autobianchi avec un joint de culasse endommagé et j’évitais de la déplacer. Je sévissais toujours sur les mêmes plages avec mon bruit de castagnettes et ma marinière poisseuse mais sur mon chemin douloureux j’avais rencontré un homme et une femme pleins de poésie. C’était Michel et Christine et ils m’avaient acheté un petit jeu d’encastrement. Michel et Christine me manifestèrent immédiatement beaucoup d’attention. Ils avaient du respect pour un jeune qui « monte sa propre affaire » et ils m’invitèrent le soir même prendre l’apéritif dans le camping où ils vivaient tout l’été.

Je passais le reste de l’après- midi à dormir dans ma voiture. L’odeur de mon corps était troublante et j’avais été réveillé par un ballet aérien de grosses mouches bizarres. Elles volaient harmonieusement autour de moi dans l’habitacle pourtant étriqué. L’exclusion sociale est souvent provoquée par les odeurs corporelles et je décidais de partir plus tôt pour utiliser les installations sanitaires du camping. Je me suis offert une grande fête fluide avec de longs râles de plaisir.

Dehors la nuit était tombée, lourde et chaude . Le camping devenait un monde d’ombres avec des petites lumières et je cherchais la caravane de mes nouveaux amis. Une fine pluie d’été tombait doucement mais elle ne rafraîchissait pas le sol. J’ai heurté dans le noir une chaise renversée et à travers un feuillage, j’aperçus Michel. Il était debout devant sa caravane. Christine assise à côté de lui regardait le ciel. Je sentais mon cœur battre plus vite. J’ étais encore naïf des choses de la vie et j’avais le sentiment de franchir la frontière d’un monde inconnu.

La chaleur humaine ainsi que l’alcool servent de piège aux hommes et je buvais beaucoup. Michel me servait sans arrêt. Il avait une allure massive et un petit charme méphistophélique. Christine était joliment douce mais elle semblait profondément asservie. Elle me parlait à voix basse et elle me racontait leur vie. Elle avait un petit garçon d’une dizaine d’années qui était resté avec l’homme dont elle était séparée. Christine avait une formation d’assistante maternelle et elle expliquait que Michel avait vendu son auto-école. Il souhaitait changer d’activité. Ils venaient de Saint-Étienne et Michel avait fait construire une jolie maison. Ils semblaient heureux de m’avoir rencontré. Michel avait plongé la main dans le décolleté bariolé de Christine. La chaleur de la vie remplissait mon ventre et la terre tournait dans le ciel. Christine laissait faire Michel. Les deux seins apparurent, lisses et brillants. Ils semblaient nourrir toutes les formes d’ombres autour d’eux. Christine s’était tue et elle me regardait longuement avec de grands yeux inexpressifs. Il n’y avait pas de séparation entre la chaleur du ciel et la chaleur de la terre. J’écrasais ma cigarette dans un demi melon évidé et Michel nous fit signe de le suivre dans la caravane. Je ne reculais pas. C’était Christine ce soir et « les Lois de l’hospitalité » mais exprimées moins subtilement que dans certaines œuvres romanesques.

La caravane aménagée de façon charmante était éclairée par quelques petites lanternes et les rideaux en cotonnade imprimée de fleurs mauves étaient assortis au couvre lit. Michel reniflait le derrière de Christine. Elle était déjà nue, luisante et charnue. Je me laissais dévorer par le feu. Michel lui empoigna ses grosses fesses et la pénétra. Christine ouvrit la bouche plusieurs fois dans ma direction en poussant des gémissements. En me faufilant, je heurtai des appareils ménagers puis Christine pris mon sexe dans sa bouche humide. Michel jouissait en grognant. L’homme était devenu tout puissant et plus rien ne pouvait l’arrêter. La femme sous pilule a été un anéantissement et tous les soirs de cette manière, Christine allait être livrée rituellement à la servitude et à l’obscénité. J’avais vraiment élu domicile chez eux et tous les soirs avant minuit, Christine m’offrait sa bouche. Michel nous regardait avec des yeux hallucinés, il lui secouait la tête et lui murmurait des mots grossiers à l’oreille.  Ensuite Christine essuyait ce qu’elle n’avait pas pu avaler et je passais le reste de la nuit sous l’auvent de la caravane. La gloire sexuelle de l’homme c’est le dérisoire de la vie et puis il y a toujours une dernière fois de quelque chose dans la vie. La dernière fois que Christine me pris dans sa bouche, il me semblait que Michel était touché de contagion. Il était brûlant et tellement contre elle qu’ils formaient un immense corps commun. La bouche de Michel devenait un ovale d’extase si parfait que je me retirai brutalement de la bouche de Christine pour m’enfoncer dans la bouche de Michel. Il me semblait qu’il en avait tellement envie et qu’il souhaitait participer à l’équilibre des tâches. Je voulais aussi échapper à la monotonie des pratiques normatives. La réaction de Michel avait été celle d’un homme à qui vous retournez les ongles. Il hurlait et se redressa furieusement en m’envoyant un coup de poing dans la figure. Le sens que je pensais donner à notre relation s’était dérobé, mon nez pissait le sang et je volais comme un ange blessé à l’extérieur de la caravane. Tout est en nous et dans une humanité fardée de choses concevables, il est si difficile de rejoindre les autres.

J’étais étalé sur de minuscules branchettes desséchées. Dans le ciel, la lune suivait tranquillement sa course et je vis Michel pour la dernière fois. Il était au dessus de moi et vidait le contenu de mon sac à paquetage sur ma tête. J’entendais râler les voisins dérangé par le bruit. Michel était retourné dans la caravane et il insultait Christine.

Plus tard, je retrouvais mon Autobianchi. Il y avait une grosse mouche crevée, les pattes en l’air sur le tableau de bord. J’attendais le petit matin et j’essuyais mon nez amoché et mes larmes puériles… La chasteté, une nécessité !

« – Michel et Christine, – et Christ ! – fin de l’Idylle.»  Arthur Rimbaud