L’entretien avec le peintre poète

intérieur bourgeois, personnage avec porte cigarette, poupée

L’entretien avec le peintre-poète.

Pastel sur panneau bois,180 x 123 cm

Il y a un décor un peu daté et deux personnages, le peintre et une poupée. On dirait que le peintre porte une perruque blanche et une fausse moustache. Il semble détendu et il utilise un fume cigarette. La poupée le questionne. Au cours de l’entretien, il lui tourne ostensiblement le dos. L’interprète de la poupée est cachée derrière le décor, elle parle de façon apprêtée et elle fait grésiller sa voix en comprimant ses cordes vocales. 

L’ENTRETIEN :

LA POUPÉE, au public : Un frisson de bonheur me transporte, je vais m’entretenir avec un peintre inconnu et obscur.

LA POUPÉE, s’adressant au peintre : Bonsoir, Monsieur le peintre !

LE PEINTRE : Je suis également poète, Madame et je ne suis point un sombre guignol, je suis un poète émerveillé et un peintre pittoresque…

LA POUPÉE : Bien sûr, mais êtes-vous comme le vieux Frenhofer de Balzac « encore plus poète que peintre » et votre art va – t – il « se perdre dans les cieux » et plus précisément dans le « bleu du ciel » que vous évoquez dans vos textes ?

LE PEINTRE : Non… euh… oui… enfin, je mêle peintures et textes pour activer l’intensité artistique de mes créations.

LA POUPÉE : Pour « ouvrir les portes du ciel » ?

LE PEINTRE : Euh… non… c’est une alchimie, une sorte de stratégie devant laquelle je m’agenouille puisqu’il s’agit de dépasser la limitation de la peinture transcendée par le dire poétique.

LA POUPÉE : S’agit-il de camoufler le peintre besogneux qui se rêve poète ?

LE PEINTRE : Euh… non.

LA POUPÉE : Mais Monsieur, la peinture a toujours été liée à l’écriture, ce lien étroit existait déjà dans l’espace pictural en Egypte antique, puis avec l’enluminure au Moyen Age, à la Renaissance, du poète grec Simmias de Rhodes jusqu’au graphisme sauvage de Basquiat ou dans les calligrammes d’Apollinaire, chez Alechinsky, dans le « double monde » de Picabia, chez Tombly…

LE PEINTRE, agacé : je ne prétends  pas avoir inventé quelque chose mais mes textes sont plus longs… et ils peuvent être recopiés soigneusement sur les murs à côté des tableaux, nous sommes donc loin des graffitis barbares d’un Basquiat avec qui j’aurai forcément évité toute collaboration…

LA POUPÉE, au public : Quel con !

LA POUPÉE, au peintre : Bien sûr Monsieur… sinon au point de vue iconographique, la présence des marins dans votre œuvre est particulièrement récurrente ?

LE PEINTRE : Bon… je vois où vous voulez en venir, mais Madame, j’aime les marins parce qu’ils sentent le frais contrairement à d’autres personnages de mon œuvre qui puent l’acide urique !

LA POUPÉE : Bien… merci Monsieur le peintre.

LE PEINTRE : Soufflez moi dans le dos et je vais m’envoler comme un oiseau.

                                                      RIDEAU

Parce que l’oiseau vit dans un monde sans mesure. Il plane par-delà les obstacles et au-dessus de tous les obstacles.