Drôle d’oiseau

 

Drôle d’oiseau

Feutre et acrylique sur papier, 24 x 18 cm

Un homme est témoin d’une étrange apparition. Dans un jardin public, au pied d’un arbre aux énormes racines, un homme-oiseau l’aborde et lui parle sur un ton de douce gravité.

– Monsieur, il me fallait de l’espace pour ma vie et je me suis transformé en oiseau. J’avais quitté ma destinée d’homme et je me sentais léger et gracieux. Ma vie était une symphonie aux portes du ciel. Oh, Monsieur, c’est beau le ciel ! Je volais avec plaisir aux heures les plus éclatantes du jour. Il y avait le vent et la lumière au dessus des villes, des collines et des rivières. Monsieur, le vent est une révolte du ciel ! Tout le bleu du ciel vous enveloppe mais le vent vous bouscule et vous dérivez dans des rafales et des tempêtes. Vous êtes aux mains d’un fou qui vous jette au hasard dans des valses agitées. Le vent vous rafle, vous avale et vous broie, puis un jour un grand vent sournois et terrible m’avait flanqué contre une vitre, une immense baie éclatante de lumière. Oh, Monsieur écoutez-moi, mon pauvre corps de plumes n’était presque plus vivant. Je  me suis réveillé dans une chambre pleine de fleurs et au dessus de moi, il y avait un visage avec un sourire lumineux et des yeux pleins d’amour. «Il ne faut pas mourir» me disait une femme d’une voix douce. Cette femme était d’une bonté inépuisable. Elle m’examinait avec tendresse, elle me lavait, pansait mes plaies et j’étais nourri de graines et de chenilles. L’effet était irrésistible, son dévouement et sa douceur m’ont sauvé. Nous sommes devenus amoureux et c’était un grand bonheur. Chacun dans son cœur prenait la place de l’autre. C’est un soir, alors qu’elle se penchait sur moi toute brillante de blancheur, que son mari est rentré d’un grand voyage. Il avait traîné sa femme par les cheveux et lui avait fracassé la tête dans la cuvette des toilettes. Il me crachait dessus. Je cachais ma tête sous mes ailes mais j’avais gardé mes fesses d’homme et il m’a battu pendant des heures. Tout mon derrière saignait. Mes fesses, Monsieur, mes fesses sont parées depuis d’affreuses inflammations, regardez ma chair suppliciée, mes rondeurs pleines de rougeurs. Mon derrière est resté humain, Monsieur, Monsieur, consolez-le bien !

Le témoin de cette étrange apparition hausse les épaules à ces vulgarités que le hasard propose. Il va continuer sa  promenade dans le jardin, il va respirer des fleurs.