Le monde est agité de grands désastres et l’homme a renoncé à la pensée poétique. L’individu a perdu toute sa puissance mais à l’extrémité de nos malheurs il y a encore des ravissements merveilleux et des larmes de bonheur coulent sur mes joues.
Le Château
Pastel et acrylique sur panneau bois, 114 x 221 cm
Je m’étais égaré dans le parc et dans le silence de la nuit, je tendais mes mains vers le ciel en pleurant de joie. Je marchais sans hâte et mes pieds nus s’enfonçaient lourdement dans l’épaisseur humide des feuilles mortes. Plus tard, je retrouvais le Château comme dessiné parmi les marronniers et son image semblait construite par la luminosité de ses fenêtres. Le Château était habité et j’avais un rendez-vous amoureux dans cette longue bâtisse. Sachez que ma spécialité est l’aventure amoureuse singulière mais sans l’accouplement charnel. L’aventure est de nature artistique et ce récit met en scène une idylle éphémère. Mon projet était particulier et la châtelaine m’attendait. Elle connaissait ma vie, les secrets de mon âme et toutes mes bizarreries. Cette célibataire grande et pâle était une femme de quarante ans, belle et froide comme un sorbet de neige. C’était une étoile perdue qui vivait seule, fréquentait au hasard et recevait les compliments qu’elle voulait entendre. Elle recherchait l’amour urgent avec des hommes distrayants. Ce soir, elle avait bu davantage que d’habitude et ses yeux semblaient brûlants de fièvre. Elle pouvait inspirer de l’amour mais je suis toujours agité de désirs étranges. J’aime les passions qui mordent dans les plus belles images et avec cette femme jamais l’idée d’une œuvre n’avait autant infiniment rejoint mon désir. Je la priais de retirer sa robe, ce qu’elle fit majestueusement. Je caressais ses bras presque maigres puis je saisis sa main de façon précieuse et je l’attirais au dehors. Le ciel était chargé et aucune étoile ne brillait. La châtelaine frissonnait tant la nuit était froide et sous ses narines je vis apparaître une sorte de morve laiteuse. Cette femme m’excitait mais je m’interdisais tout élan grossier. Nous nous sommes dirigés vers les écuries et nous entendions les hennissements des chevaux. Les écuries étaient un vaste bâtiment qui abritait une vingtaine de stalles où les bêtes mangent, défèquent et dorment. Les chevaux avaient tous des noms d’hommes et j’avais choisi le plus tourmenté et le plus noir. Si tu regardes le cheval et s’il y a de l’inquiétude dans ses yeux alors tu lui caresses les flancs ou tu lui murmures des douceurs à l’oreille. «Tu es le noir dont on fait les poèmes », lui murmurai-je. Puis la châtelaine brida l’animal. Elle était prête et je contemplais longuement son corps nu. Elle allait se soumettre avec cette impudence que les femmes saisissent dans l’intensité de leurs rêves et mon adoration pour elle se retenait en un seul point fixe et halluciné. Nous avions quitté les écuries et les autres chevaux s’étaient agités à notre passage. Dehors, le vent d’hiver faisait trembler les branches des marronniers et le ciel était un drap gonflé et noir. J’aidais la châtelaine à se hisser sur le dos du cheval. Avec mes mains, je serrais sa taille avec respect puis j’embrassais ses doigts de pieds. Elle donna le désir au cheval à se porter en avant et il partit immédiatement au galop. Je voulais une œuvre vivante qui corresponde à la détresse et à la beauté de la vie humaine. Dans la nuit , je vis disparaître le corps blanc et scintillant de la châtelaine. Il était tellement secoué et c’était la vision d’un corps précieux battu par l’obscurité. Il clignota encore, comme suspendu dans les airs puis s’immobilisa un instant et le corps entier disparu, avalé dans le noir de la nuit. Après l’accélération du mouvement, j’avais créé une image éclatante et fixe, aussitôt détruite.
« Cherche la lune, cherche la lune » hurlais-je mais le vent avait cessé et il faisait presque jour. La nuit s’effilochait, le soleil d’hiver allait apparaître et je regagnais le Château.