Les égarés
Il y a des enfants égarés loin du bonheur et leur vie est une fuite infinie qui ne se conclue jamais.
Acrylique sur carton, 80 x 65 cm
Au-dessus d’une pente abrupte, les enfants vivent dans des ruines dissimulées par une palissade en bois et c’est une position conquise. Ce soir la nuit est lourde et ils n’ont plus faim. Quelques mégots les rassasient avec un peu de pain. Ces deux voyous ne se définissent pas. Ils sont brouillés avec les valeurs humaines. Ils sont mendiants, voleurs ou meurtriers. C’est un néant assumé et ils sont égarés dans la vie comme nous le sommes dans le noir. Ils n’ont pas de passé et pas d’avenir. Ils traînent dans les rues et malmènent les passants. Ce soir, la nuit sera féroce et ils vont tuer. Ils longent d’abord le fleuve avec ses brillances d’eau glacée puis ils s’en éloignent. Ils suivent leurs ombres et le hasard. Peut-être que vous ne le savez pas mais il est difficile de vivre en restant honnête. Ils harponnent et ils ponctionnent. Ces enfants ne connaissent pas la pitié, ils sont comme l’aveugle qui ne reconnaît pas la lumière. Pour l’instant leur haine grandit. Devant la façade d’une belle brasserie, ils repèrent un client. Un type avec une petite tête enfantine. C’est ce qu’il y a de mieux. C’est leur choix et il va sucer sa tétine. Plus tard, ils vont enfoncer une lame brillante dans le ventre du jeune homme. La paroi abdominale sera fragile et tendre. Ensuite la gorge sera tranchée et ils vont le raccourcir. N’oubliez pas de demander le code de la carte bancaire au client. Sa tête sera posée quelque part et ils prendront la fuite en hurlant des mots violents. Mais pour l’instant, ça va durer. Le type n’est qu’au début de son repas. Une entrée traditionnelle avec des œufs mimosas et il a certainement commandé un poulet frites. «Chaud ou froid, soif ou faim, la mort vient à la fin…» Tu sais, on ne pourra jamais abolir le crime mais en attendant le joli biquet, il faut agilement tuer le temps. Terreur et malheur à tous les étages. Ces deux là sont fusionnés, un peu omphalopages et ils ont le corps le plus réussi : quatre jambes, quatre bras, deux cœurs et une seule âme. Tu n’as même pas le temps de lever les yeux, les voilà qui s’accrochent à la descente de la gouttière. Ils vont là-haut, faire un petit tour et cueillir les vieilles rombières dans leurs appartements. Ils sont rapides, transparents comme les ailes de la libellule et ils veulent du sang et des hurlements. Mais ils sont allés trop loin et les voilà déjà sur le toit du voisin. Ce n’est pas grave, le cadre de l’histoire, c’est la nuit dans un monde en guerre avec des sanglots d’errances et des corps meurtris. Ils contemplent la ville qui est un ventre ouvert présentant ses viscères et leurs vilains gargouillis. Dans le ciel noir, les deux voyous sont immenses. Ils se caressent leurs petits tétons en poussant des cris affirmant leur coexistence mais leur instinct les avertit qu’il va se passer quelque chose d’important dans leur vie. Sur le vaste toit, il n’y a qu’une seule lucarne et elle répand une lumière jaune et timide sur la surface des ardoises humides. C’est une chose étrange et superflue que cette présence de vie dans le noir de la grande nuit. Nos petits meurtriers s’en approchent, ils sont étroitement enlacés et vont sortir leurs griffes acérées. Ils collent le nez à la vitre et découvrent une toute petite pièce pleine de buée. C’est une salle de bains laquée couleur citron et ils distinguent une fille noire qui se dénude devant sa baignoire. Elle est noire partout et les deux voyous retiennent leur souffle. Avec sa culture mystérieuse, la fille tangue et balance son joli corps recouvert de bijoux et dans un nuage de vapeur, elle roule des fesses éclatantes de noirceur. Avec une tendre nonchalance, elle enjambe la baignoire fumante et aperçoit les deux voyous qui la contemplent. Elle a les sourcils relevés et des grands yeux incrédules mais elle sourit et envoie un gros baiser aux deux noctambules. C’est un vrai bonheur qui éclate dans leurs cœurs et on entend le ciel gronder parce que les coups de foudre n’éclatent pas qu’en été.